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27 mars 2007

Nouvelle nouvelle!

La veine

par Simon-Pierre Bélanger

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-Ça m’a tout l’air d’une conjonctivite sévère.

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Le docteur Beauchemin avait prononcé cette phrase avec une intonation toute vivante, presqu’enjouée, ce qui irrita Samuel. Durant toutes ces années, le jeune homme avait été fidèle au cabinet du médecin, qui le connaissait depuis son enfance précoce.

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Il avait déjà entendu dire, par des sources fort peu recommandables, que sa mère et Beauchemin avaient fricoté ensemble, un an ou à peu près avant sa naissance. Quoiqu’il ne voulus jamais croire ces sornettes, en fils de bonne famille qu’il était, il prit conscience, bien des années plus tard, qu’il se faisait peut-être ausculter par son propre père, ce qui ne tarda point à installer le malaise dans leur relation inter annuelle.

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-Oui, oui, on dirait une veine qui a explosé. Vous avez fait un effort, monsieur? Je veux dire, un effort considérable ou inhabituel dans les dernières vingt-quatre heures?

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Samuel savait très bien ce que le docteur avait voulu dire. Ce genre d’incision dans l’incompréhension des gens l’horripilait, et c’est pourquoi il prit un moment pour répondre, après avoir ravalé un peu son humeur massacrante.

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-Non. Je ne crois pas.

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Le praticien le fixa d’un œil vif, le même qui effleure parfois les gens qui toisent le regard, dans les autobus.

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-Si vous le dites. Prenez, c’est pour vous. Une fois par jour, pendant une semaine.

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La froideur de leurs échanges n’avaient qu’augmentée durant les dernières années. Enfant, Samuel était jovial et coopérant. Une vingtaine d’années avaient suffises pour l’engourdir et le faire entrer dans le moule d’adulte travaillant forgé par ses prédécesseurs. La vie ne lui était pas tombée dessus comme il l’espérait, et il se trouvait ridicule d’avoir un jour espéré qu’il serait heureux, et plus encore d’être père.

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Monsieur Beauchemin se dirigea vers la porte de son cabinet. Samuel, accoudé à son bureau, comprit, dans les manières polies qu’on lui avait enseignées, qu’il était temps pour lui de partir. Silencieusement, il quitta son siège et sortit de la clinique, désemparé.

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***

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Il savait le crépuscule comme son unique comparse. Arpentant les rues comme il le pouvait, il ne cessait d’épier toute cette vie urbaine et tentait de s’imbiber de sa vivacité.

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Pour une fois, il aurait aimé être au chevet d’un grand malade, pour encourir la contagion, pour en être certain, juste pour se prouver qu’il n’était pas qu’un débris qui s’envole sur Sainte-Catherine, de temps à autres. On était en hiver, et le froid morcelait ses envies et transperçait sa mélancolie. Contrarié qu’on ne l’empêche de ruminer, il s’empressa de rentrer chez lui, à l’allure vive qu’on lui connaissait, autrefois. 

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La porte de son appartement appréciable grinça de toutes parts. Bien, se dit-il, un autre pépin.

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Il jeta ses clés sur le divan du salon, et les observa, inerte, à travers le verre de sa télévision modeste. Il se dirigea vers la cuisine, mais la croisée des couloirs devant lui fit changer son idée de base, et il se dirigea vers sa chambre. L’obscurité soyeuse du début de soirée l’entourait et l’apaisait. D’ailleurs, il avait économisé gros sur l’Hydro, depuis quelques mois. Le silence l’entourait et il se sentit en harmonie avec son chagrin. Comme un ami, ils étaient sur la même longueur d’onde.

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Beaucoup de ses proches lui avaient fait remarquer qu’il devenait de plus en plus  seul, mais aucun ne voyait détresse dans ses yeux, toujours emplis de dévotion.

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Depuis un certain temps, il trouva le plafond de sa chambre plus intéressant que la télévision. Penser est un art, s’était-il dit. Or, le problème se trouvait dans son œuvre, justement. Quoiqu’il se justifiait ainsi, il savait, en son for intérieur, que la raison futile excusait son manque d’imagination.

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En fait, il ne pensait à rien, quand il fixait ce plafond. Il se sentait bien, baigné dans l’abstrait et noyé dans l’absence. Il aurait pu disparaître, là, immédiatement, et jamais aucune nostalgie terrestre ne l’aurait touchée. Il lui arrivait même, souvent, d’être déçu de se réveiller, le matin.

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Le matin, il se levait, rarement de misère, car il ne connaissait la fatigue, qui n’avait pour lui jamais cessé d’être. Il prenait un petit déjeuner, peu importe que ça soit ou pas gouteux. Il entrait le matin au bureau, saluait Guylaine, parlait avec Daniel, et s’enfermait pour quelques heures dans son petit cubicule de deux mètres carrés. Il n’en ressortait que pour dîner et lorsqu’il avait terminé l’ouvrage dont on l’avait chargé.

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Ainsi, ces journées s’écoulaient, le travail le complaisait, ses balades à la brunante le complétait. Samuel n’aimait pas marcher, il aimait faire partie intégrante de l’excitation de la veillée métropolitaine. Il n’allait jamais dans les bars, mais faisait la file tout de même pour partager la fébrilité. Il retournait chez lui, avec un sourire finement tracé sur ses lèvres.

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Toutefois, une fois à l’intérieur, il s’empressait de s’étendre sur son lit, et de régler son pouls avec les battements de la pendule. C’était sublime pour lui, que de faire partie du décor muet de sa demeure, sans jamais déroger du vide solennel de son isolement.

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Lors d’une journée de mars ensoleillée, il observa que le déroulement de sa semaine était tout à fait normal, voir identique à celles qui la précédaient. Il se mit à y penser longuement, dans cette même optique du néant mental.

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Il se dirigea vers la bouche de métro. Un souffle torride d’odeurs poisseuses l’y attendait, dès qu’il eut ouvrit la porte pivotante. Il se rendit, d’un air songeur, jusqu’aux tourniquets de passage. Il  glissa sa carte, d’un maniement de poignet si répété qu’il en était devenu svelte.

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Un cri déchira ses songes d’une césure douloureusement atroce. Il se retourna prestement, et aperçu un homme, affaissé de tout son long en-dessous du tourniquet voisin à celui qu’il venait d’emprunter. Ses pleurs et ses plaintes attirèrent, pendant de nombreuses secondes, l’attention de tous les usagers. Tous le regardaient, avec cette compréhension qui jaillit globalement, dans ces situations données. Pourtant, personne ne l’aida à se remettre sur pied.

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-Tiens, se dit-il, il m’est rare de tomber. Il m’est encore moins fréquent de pleurer.

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À cet instant, beaucoup de philosophes, ceux qui auraient pu transcender son esprit, auraient dit qu’il venait d’annoter une vérité fondamentale de son existence. Mais lui n’en fit rien, n’y accorda pas plus d’importance que le regard qu’il jeta au passant suivant.

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Il se tenait debout sur le quai de la station Sauvé. Celle-ci, car je la connais bien. Elle se prête bien à l’histoire, et elle est celle que je visualisais. Il avait de beaucoup transgressé la ligne qui départage le bord de l’extrême-bord du quai, mais il savait bien qu’il ne risquait pas grand-chose, ses réflexes étant assez aiguisés. 

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Puis, pour la seconde fois en quelques minutes, lui venu une idée toute simple, mais révélatrice. Il se demanda ce que ça ferait s’il se jetait devant le métro qui arrivait. Sa mère comprendrait sûrement, ou y verrait un accident. Ses collègues le regretterait quelques jours, tout au plus. Les abonnés du journal verraient son visage en première page comme celui de tous les autres. Au fond, ça ne changerait pas grand-chose.

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Il entendit le lointain vrombissement des wagons qui s’entrechoquent sur les rails électrifiés. Ceux qui font toujours peurs, mais qui sont aussi rassurants, qui rappellent la normalité.

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Il se résolut à se lancer devant la tête du train, non pas dans un élan d’émotion ou dans une volonté suicidaire inouïe. Non, juste pour savoir ce que ce serait de n’être plus là. D’être à la fois chevauché pas les roues mécaniques qui s’arrêtent et d’être ailleurs. Ce serait quoi de fixer son plafond, longtemps. Longtemps. Très longtemps.

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Les gens ne le remarquèrent pas plus qu’à l’habitude. Avec le temps, il était arrivé à entrer dans une routine si exigeante qu’il prenait, à tous les soirs, le même voyage, vis-à-vis la même porte.

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Les gens qu’il côtoyait, qu’il frôlait même, parfois, ne perçurent en lui aucun changement qui pouvait présager le drame auquel ils allaient assister, dans leur vie banale.

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Envouté d’une excitation peu commune, il tanguait sur la limite du quai. Le train arrivait de plus en plus rapidement. Le temps s’estompait pour Samuel. Peu après, il saurait.

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Quand, à sa hauteur fut arrivé le train, il fut surpris par un mouvement derrière lui qui l’arrêta dans son élan. Une clameur s’éleva brusquement, et Samuel se retrouva aspergé.

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-Zut, il faut que j’aille acheter de l’antitaches.

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Et il eut très mal à l’œil.

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Commentaires
R
Pour ceux qui ne comprennent pas la fin, vous pouvez m'en parler, parce qu'apparamment, personne ne semble comprendre. C'est une pandémie!Non sérieux, juste un orgueil trop gros pour changer des phrases pas trop claires...
M
Excellent, encore! J'te reproche peut être quelques mots que tu aurais pu vulgariser. Mais pour le reste, superbe. Continue
M
J'aime bien ton style. Très naturel, un bon flot de mot. Parfois un peu trop de virgule selon moi, peut-être mes caprices de lecteur.<br /> Je sens que ta première partie est moins travaillée . Un peu lourd comme intro, toujours selon moi. Par contre la deuxième partie est excellente. La conclusion laisse réfléchir, j'adore. <br /> Une vie pour une autre. Pensées fatalistes? <br /> <br /> Marc-O.---
G
Penser est un art. <br /> Un des plus beau, oui c'est vrai. J'ai peur que ma vie d'adultes devienne aussi pathétique, c'est pourquoi je redoute, moi aussi, la "nouvelle vie" qui nous attend dans quelque mois à peine...
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